Emilie Gourd (1879-1946)
«L’Idée marche!» Ce slogan d’Émilie Gourd illustre la force de conviction avec laquelle la Genevoise s’engage dans la lutte pour les droits des femmes. Passionnée, elle fait avancer cette «Idée» grâce à ses talents de journaliste et d’oratrice, qu’elle déploie en Suisse et lors de multiples voyages à l’étranger. Elle milite au sein d’associations suffragistes cantonales, nationales et internationales, fonde une revue féministe, exige de meilleures conditions de travail et un salaire égal pour un travail égal.
Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF
La famille Gourd évolue dans le milieu intellectuel de la bourgeoisie protestante. Avec sa mère, Émilie fréquente des organisations féminines bourgeoises de bienfaisance. Les deux femmes participent aux activités de l’association Goutte de lait, qui s’allie à des ouvrières pour lutter contre la forte mortalité infantile. Pasteur et professeur de philosophie à l’Université de Genève, le père d’Émilie Gourd veut une bonne éducation pour ses deux filles: à l’âge de trois ans, Émilie connaît l’alphabet, elle sait lire à cinq ans et elle commence à apprendre l’allemand à sept ans. Elle obtient le certificat de capacité de l’École secondaire et supérieure de jeunes filles de Genève, mais il ne lui donne pas accès à des études universitaires. Elle doit donc se contenter de suivre les cours de philosophie et d’histoire en auditeur libre. Passionnée par la lecture et l’écriture, elle exerce brièvement le métier d’enseignante. Elle est abonnée à plusieurs revues, comme la publication féministe parisienne La fronde, qui est écrite, dirigée et imprimée par des femmes exclusivement, s’informant ainsi sur les luttes pour les droits des femmes dans le monde entier.
Dès cette époque, Émilie Gourd multiplie ses activités associatives et donne d’innombrables conférences en Suisse et à l’étranger. Elle fait la connaissance de personnalités du mouvement féministe et suffragiste genevois. Elle adhère à l’Union des femmes de Genève en 1904, prend la présidence de l’Association genevoise pour le suffrage féminin en 1911. En 1914, elle devient présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) et dirige l’ouvroir de l’Union des femmes de Genève, qui permet aux femmes pauvres et aux chômeuses d’avoir un revenu. En 1923, elle devient secrétaire de l’Alliance internationale des femmes. Voyant la montée des idées fascistes dans les années 30, elle fonde la section genevoise de la communauté de travail La Femme et la Démocratie.
En 1912, Émilie Gourd crée la revue Mouvement féministe, dont elle sera la rédactrice en chef. Ce mensuel allie information, éducation et propagande en faveur du suffrage féminin. La journaliste y parle en outre régulièrement des mouvements de femmes à l’étranger. Le titre paraîtra sur papier sans discontinuer jusqu’en 2009, quoique sous divers noms ; désormais appelé L’Émilie, il est toujours publié, mais sur Internet.
Dans son rôle de présidente de l’ASSF, Émilie Gourd déploie une force de conviction peu commune : pendant son mandat, l’association, qui a été constituée en 1909 en fédérant les associations suffragistes locales, voit son nombre d’adhérents augmenter en flèche. Contrairement à beaucoup d’autres femmes bourgeoises (comme p. ex. Emma Graf, à l’origine en 1914 du slogan « Accomplir des devoirs, c’est fonder des droits »), elle défend l’idée qu’en démocratie les droits politiques sont dus inconditionnellement aux femmes et qu’elles n’ont donc pas besoin de les « gagner » : « Pas de nouveaux devoirs sans l’égalité des droits ». Cette attitude lui permet de faire oeuvre de médiation entre l’aile bourgeoise et l’aile socialiste du mouvement des femmes. Lorsque les travailleuses réclament le suffrage féminin durant la grève générale de 1918, elle écrit au Conseil fédéral en sa qualité de présidente de l’ASSF pour l’inviter instamment à donner suite à cette revendication. Mais en même temps, elle se distancie des actions militantes car, bien que sensible aux idéaux égalitaires de la Révolution française, la Genevoise considère que le combat féministe doit être conduit dans le respect de la légalité. En 1929, un an après la fin de son mandat à la présidence de l’ASSF, l’association lance une pétition pour le droit de vote et d’éligibilité des femmes qui recueille un nombre record de signatures et Émilie Gourd s’investit dans le comité d’action au niveau suisse.
Outre son engagement en faveur des droits politiques des Suissesses, Émilie Gourd milite pour l’amélioration des conditions de travail et pour la reconnaissance du travail des femmes. Elle organise à cet effet à Genève en 1925 la première exposition cantonale sur le travail féminin, qui servira de modèle à son pendant national en 1928. Elle coordonne d’ailleurs la contribution genevoise à cette première Exposition suisse du travail féminin (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit, SAFFA) et c’est probablement à elle que l’on doit l’idée de représenter la trop lente avancée du suffrage féminin par un escargot géant, qui fait sensation.
Émilie Gourd reste rédactrice en chef du Mouvement féministe et préside plusieurs associations jusqu’à la fin de sa vie. Mais une maladie cardiaque l’oblige à ralentir ses activités. Elle disparaît en 1946, à l’âge de 66 ans. Trois mois auparavant, les électeurs genevois avaient refusé pour la troisième fois d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux femmes (Source: EKF).
« Sans l’émancipation de la femme, le terme de démocratie n’est qu’hypocrisie et mensonge. » Emilie Gourd