Luciana Thordai-Schweizer (*1929)

Le 3 février 1959, Luciana Thordai-Schweizer fait grève avec 50 collègues femmes. Ces enseignantes du gymnase pour jeunes filles de Bâle protestent contre le résultat d’un scrutin fédéral : deux jours auparavant, les hommes suisses ont refusé le suffrage féminin. Cette action restera dans l’histoire sous le nom de « grève des enseignantes bâloises ».

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

En réalité, Luciana Schweizer voulait être médecin, et non pas enseignante. Mais son père lui interdit de faire médecine, estimant ces études trop astreignantes pour la santé d’une jeune fille. Elle commence donc par travailler comme secrétaire dans une entreprise de transport bâloise puis fait un stage d’étudiante d’une année dans le sud de l’Angleterre, chez Ciba (l’actuelle Novartis). Mais le travail de bureau l’ennuie profondément. Elle étudie alors le français, l’anglais et l’histoire à Bâle et à Paris, suit des cours magistraux en psychiatrie destinés aux non-médecins et devient enseignante.

En 1956, Luciana Schweizer débute comme enseignante au gymnase pour filles de Bâle, appelé peu flatteusement « la cage aux singes ». Il y a quarante élèves par classe. Beaucoup d’enseignantes de l’établissement militent depuis des années pour les droits politiques des femmes, par exemple au sein de l’association suffragiste bâloise. Les enseignantes sont non seulement privées de l’égalité des droits, mais elles sont fortement discriminées par rapport à leurs collègues hommes dans la vie professionnelle quotidienne. Les enseignants gagnent plus que les enseignantes. En outre, les femmes sont soumises à la « clause du célibat », instaurée après la Première guerre mondiale sous prétexte qu’il y avait pléthore de personnel enseignant : une enseignante qui se marie perd son poste ; elle peut au mieux continuer de travailler comme auxiliaire, en étant mal payée, moyennant des contrats d’un an et sans caisse de pension.

On comprend que ces discriminations aiguisent le sentiment de révolte qui s’empare des enseignantes dans la salle des professeures le lundi matin suivant le scrutin du 1er février 1959 : le corps électoral masculin vient de rejeter le premier projet fédéral de suffrage féminin à une majorité de 66 %. Les enseignantes ne peuvent pas laisser passer ce résultat sans réagir. L’idée de faire grève vient de Rut Keiser, docteure en histoire et en philologie, enseignante et ancienne vice-rectrice. Pour Luciana Schweizer, il est clair qu’elle doit participer à la grève, même si le suffrage féminin ne l’intéresse pas spécialement. Elle est en effet consciente de l’importance que la lutte pour les droits politiques revêt pour ses collègues plus âgées : « Ces femmes étaient éduquées, intelligentes, intéressées par la politique, mais elles ne pouvaient pas voter. Elles luttaient de toutes leurs forces. J’ai participé à la grève par solidarité. »

Le lendemain matin à 10h, on sonne à la porte du domicile de l’enseignante : sur le perron se trouve toute la classe à qui elle devait donner un cours d’histoire. Le recteur a renvoyé les gymnasiennes à la maison parce qu’aucune enseignante n’est venue travailler. Luciana Schweizer est soulagée : l’appel à la grève a été suivi. À midi, Radio Beromünster fait un reportage sur le sujet : le 3 février 1959, 39 des 50 enseignantes auraient dû faire cours. À part deux, qui n’avaient pas de contrat fixe, toutes les enseignantes ont signé la déclaration de solidarité. Les deux secrétaires de l’école sont également en grève.

Quel est l’impact de cette action de protestation ? Ce n’est pas très clair au départ. Certains collègues et le recteur comprennent le mécontentement des enseignantes. D’autres réagissent mal. Les journaux s’emparent de l’événement, y compris le New York Times, et les enseignantes reçoivent de multiples messages, surtout de soutien. Lorsque l’affaire passe devant le comité d’inspection, Luciana Schweizer fait partie de la délégation de trois femmes désignées pour représenter les protestataires. Le comité se contente d’un avertissement écrit et supprime un jour de salaire aux grévistes.

La grève des enseignantes bâloises traduit la force du mouvement suffragiste dans le canton de Bâle-Ville : en 1966, il sera le premier canton de langue allemande à donner aux femmes le droit de vote et d’éligibilité au niveau cantonal.

La même année, Luciana Schweizer épouse un médecin hongrois, Stefan Thordai. Après avoir quitté le gymnase pour filles de Bâle, elle continuera de s’investir dans la grève. Elle ne faisait pas partie des instigatrices du mouvement en 1959, mais elle en est une actrice importante : elle prononce des discours, donne des interviews et rappelle qu’il faut combattre pour les droits politiques. C’est la grève qui a sensibilisé Luciana Thordai-Schweizer aux droits des femmes. Alors qu’elle s’intéressait peu à la politique auparavant, elle n’a manqué que deux scrutins depuis 1971. Et le combat pour l’égalité des droits n’est pas terminé à ses yeux : « Nous ne sommes pas encore au bout de nos peines. »

(Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF).

«Mes collègues étaient des femmes éduquées, intelligentes, intéressés par la politique, mais elles ne pouvaient pas voter. J’ai participé à la grève par solidarité. » Luciana Thordai-Schweizer, 2018

 

 

 

 

Emilie Lieberherr (1924-2011)

Sur la Place fédérale le 1er mars 1969, Emilie Lieberherr clame : « Les droits de l’homme pour les deux sexes ! » Entourée de 5000 manifestantes, elle revendique le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes. Le Conseil fédéral est soumis à une telle pression qu’il présente la même année un projet d’instauration du suffrage féminin.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Emilie Lieberherr grandit dans une famille modeste à Erstfeld, dans le canton d’Uri. Originaire d’Italie, sa mère est couturière. Son père, cheminot, vient du Toggenburg, dans le canton de Saint-Gall. Bien que protestante, Emilie devient pensionnaire dans une école tenue par des religieuses catholiques dans le canton de Schwyz, où elle obtient un diplôme de commerce en 1942. Elle travaille alors à l’Union de banques suisses à Zurich tout en préparant la maturité économique. Une fois ce diplôme en poche, elle étudie l’économie politique et la pédagogie à Berne. Elle finance ses études en travaillant comme formatrice de personnel et formatrice de vente dans une école professionnelle.

C’est à cette époque qu’Emilie Lieberherr fait la connaissance d’Hermine Rutishauser. Elles resteront ensemble jusqu’à la fin de leur vie, 60 années durant. À la fin des années 50, les deux femmes ont envie de découvrir le vaste monde. Elles partent aux États-Unis, où elles travaillent comme préceptrices et employées de maison dans différentes familles de 1957 à 1959.

De retour en Suisse, Emilie Lieberherr trouve en 1960 un emploi d’enseignante dans une école professionnelle formant du personnel de vente à Zurich. En 1961, elle participe à la création du Forum des consommatrices de Suisse alémanique, qu’elle préside de 1965 à 1978. Elle obtient un doctorat de l’Université de Berne en 1965.

Emilie Lieberherr s’engage au sein de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF). En 1959, deux tiers des hommes formant le corps électoral rejettent le premier projet d’instauration du suffrage féminin. La déception et la colère sont grandes parmi les suffragistes. Et voilà qu’en 1963, la Suisse adhère au Conseil de l’Europe et projette, avec quelques années de décalage, de signer la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Mais le Conseil fédéral veut formuler deux réserves, l’une concernant l’absence de droits politiques des femmes et l’autre l’inégalité entre filles et garçons dans l’éducation. La coupe est pleine et les féministes protestent à travers des actions variées. Le nouveau mouvement féministe, en particulier, revendique des formes d’action plus directes et propose d’organiser une marche de protestation sur Berne. Cette idée paraît trop radicale à l’ASSF, mais l’Association zurichoise pour le suffrage féminin se montre plus combative. Elle forme un comité d’action et appelle, avec des déléguées de Bâle-Ville et Winterthur, à marcher sur Berne en signe de protestation.

C’est ainsi que quelque 5000 femmes (et hommes) marchent sur Berne le 1er mars 1969 pour protester contre le nouveau report de l’introduction du droit général de vote et d’éligibilité. En tant que présidente du comité d’action zurichois, Emilie Lieberherr prononce sur la Place fédérale un discours musclé qui fait sensation. Elle dénonce le projet du Conseil fédéral de signer la CEDH en formulant des réserves qu’elle qualifie de scandaleuses : « Cette nouvelle a eu raison de notre patience bien fédérale. Il s’agit d’un camouflet pour les femmes, et il ébranle notre confiance dans le Conseil fédéral. L’heure n’est plus aux souhaits ; nous sommes venues ici avec des revendications ! » À la fin de son discours, elle déclenche sur la Place fédérale un concert de sifflets.

La Marche sur Berne suscite l’attention dans toute la Suisse et accroît la pression sur le Conseil fédéral. Le Parlement refuse de signer la Convention des droits de l’homme avec des réserves. La même année, le Conseil fédéral présente un projet d’introduction du suffrage féminin, qui sera accepté au niveau fédéral en 1971.

L’année d’avant, le canton de Zurich accorde le droit de vote et d’éligibilité aux femmes en matière cantonale. Le 8 mars 1970, Emilie Lieberherr, dont l’engagement pour les droits des femmes est bien connu, est la première femme élue au conseil municipal de la ville de Zurich, où elle représente le Parti socialiste (PS). En 1978, elle est la première femme de Suisse alémanique à siéger au Conseil des États. Et après l’institution de la Commission fédérale pour les questions féminines, elle en devient la première présidente (1976-1980). Emilie Lieberherr milite sa vie durant pour l’égalité des droits des femmes devant la loi et dans les faits. Elle participe à l’élaboration du message du Conseil fédéral concernant l’initiative populaire « Égalité des droits entre femmes et hommes » déposée en 1976 et elle milite en faveur d’un nouveau droit matrimonial.

Suite à des divergences avec son parti, elle quitte son siège au Conseil des États en 1983. Elle est définitivement exclue du PS en 1990, mais elle reste à la tête du dicastère des affaires sociales de la ville de Zurich. Sous sa direction, la ville instaure un dispositif d’avance des pensions alimentaires, ouvre de nombreux foyers pour personnes âgées et lieux de rencontre pour la jeunesse, et lance des programmes à l’intention des jeunes au chômage. Elle quitte le conseil municipal de Zurich en 1994, après 24 ans de mandat, et décède en 2011 à l’âge de 86 ans (Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF).

«L’égalité des sexes est une condition importante pour la réalisation des droits de l’homme.» Emilie Lieberherr, 1969

 

 

 

 

Alma Bacciarini (1919-2007)

Alma Bacciarini est à l’avant-poste de la lutte pour les droits politiques des femmes dans son canton. Première Tessinoise élue au Conseil national en 1979, elle milite au niveau national pour l’égalité dans les faits et plus spécialement pour la participation politique des femmes, en soulignant la responsabilité qui incombe aux partis de soutenir davantage les femmes politiques.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Alma Bacciarini grandit dans le petit village tessinois de Cabbio. Elle fréquente le gymnase à Biasca puis l’école normale à Locarno. Elle enseigne dans différentes écoles à partir de 1945. Entre-temps, elle quitte le Tessin pour Zurich et Genève, où elle étudie la littérature française et la littérature italienne. C’est à cette époque que s’éveille son intérêt pour la condition de la femme et qu’elle se lance dans le journalisme. Elle écrit d’innombrables articles sur des sujets de politique sociale et de culture qui paraissent dans différents journaux : La Nostra Voce, Gazzetta Ticinese, Cooperazione, Il Dovere, La Regione Ticino. Elle est régulièrement invitée dans l’émission de radio Per la donna, un important forum de discussion pour l’émancipation des femmes dans le canton du Tessin.

Alma Bacciarini milite pour l’égalité des droits des femmes en politique et dans la société, au niveau cantonal comme au niveau national. De 1954 à 1963, elle est vice-présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) puis, de 1976 à 1992, de la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) avant de présider, de 1992 à 1995, la Fédération des associations féminines tessinoises. Elle est également membre et présidente d’un grand nombre d’autres organisations dans lesquelles elle oeuvre en faveur des droits et de la promotion des femmes. Les années 50 et 60 sont dominées par la lutte pour l’égalité des droits politiques. Alma Bacciarini rappelle inlassablement que les partis ont la responsabilité d’encourager les femmes en leur sein et de promouvoir le suffrage féminin. Dans la perspective de la troisième votation tessinoise sur le droit de vote et d’éligibilité des femmes au niveau cantonal, agendée au 19 octobre 1969, elle collabore intensivement avec l’Associazione Ticinese per il voto alla donna.

Les Tessinoises obtiennent le droit de vote et d’éligibilité au niveau cantonal en 1969 puis au niveau national en 1971. S’ouvre alors pour Alma Bacciarini une carrière « officielle » dans l’arène des partis politiques. Elle est conseillère municipale pour le Parti radical-démocratique (PRD) à Breganzona de 1972 à 1980 et membre du Grand Conseil tessinois de 1975 à 1991. En 1979, elle est la première Tessinoise élue au Conseil national. Au parlement fédéral, elle s’engage en faveur des minorités sociales et des personnes défavorisées. Elle contribue ainsi à mieux faire entendre la voix du Tessin et la langue italienne, soulignant combien la diversité linguistique est importante pour la cohésion nationale.

Toutefois, l’égalité des droits des femmes reste au coeur de son engagement. Après l’égalité des droits politiques, elle réclame l’égalité dans les faits, c’est-à-dire sur le plan juridique et social. Elle déplore la faible participation politique des femmes : bien qu’elles aient formellement le droit d’éligibilité, elles ne sont que rarement élues à des charges politiques. Elle ne craint pas d’affronter son propre parti ni les autres partis politiques : elle leur reproche d’utiliser les femmes comme bouche-trous sur les listes électorales, sans leur apporter de soutien concret. Lors des élections au Conseil national en 1983, la direction du PRD envisage de lancer le conseiller d’État Ugo Sadis à la place d’Alma Bacciarini. Celle-ci se retire alors de la course à la nomination, mais Ugo Sadis n’est pas élu au parlement fédéral et Alma Bacciarini doit quitter le Conseil national après son premier mandat. Rétrospectivement, elle dira : « S’il y a eu une déception, elle est peut-être venue de mon parti, qui a certes fait élire la première Tessinoise à Berne, mais qui n’a pas su ou pas voulu exploiter cet événement sur le plan politique. »

La participation politique des femmes reste un sujet important pour elle. Pendant son mandat à la vice-présidence de la CFQF, la commission publie le rapport Prenez place, Madame (1990), qui analyse la participation politique des femmes.

Elle siège au Grand Conseil tessinois jusqu’en 1991, mais ne se représente plus ensuite, convaincue qu’il faut laisser la place aux jeunes et à d’autres femmes. Après sa carrière politique, elle préside la Fédération des associations féminines tessinoises (1992-95), fonction dans laquelle elle se consacre à traduire et publier le livre de Lotti Ruckstuhl Frauen sprengen Fesseln : Hindernislauf zum Frauenstimmrecht in der Schweiz (Vers la majorité politique. Histoire du suffrage féminin en Suisse). Elle en complète le texte et l’iconographie concernant le canton du Tessin avec le concours d’Iva Cantoreggi et d’Emma Degoli. Alma Bacciarini s’éteint en 2007 à l’âge de 85 ans (source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF). 

« Je suis heureuse pour les Tessinois que ce soit enfin une femme qui représente notre Canton à Berne. Personellement, je suis contente de mon élection: elle récompense le travail que j’ai accompli durant des années. Je ne me sens pas privilégiée dans la mesure où je sais, quitte à paraître mangquer de modestie, combien j’ai travaillé pour en arriver là. » Alma Bacciarini, 1997

 

 

 

 

Katharina Zenhäusern (1919-2014)

En 1957, la Valaisanne Katharina Zenhäusern et 32 autres citoyennes d’Unterbäch votent sur le service civil obligatoire pour les femmes. Comme celles-ci sont toujours privées de droits politiques, il s’agit d’un acte de désobéissance civile. Cette action protestataire fait sensation dans toute la Suisse et au-delà des frontières.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

C’est le 3 mars 1957 qu’a lieu la votation fédérale sur l’introduction du service civil féminin obligatoire. Les hommes suisses sont appelés à voter sur un projet qui concerne exclusivement les femmes. Les féministes et les organisations féminines protestent : «Pas de nouveau devoir sans l’égalité des droits!».

À Unterbäch le soir du 2 mars 1957, Katharina Zenhäusern est la première femme à déposer un bulletin de vote dans une urne fédérale. Elle est alors âgée de 37 ans, agricultrice et mariée au président de la commune Paul Zenhäusern. «Il fallait bien que quelqu’un commence», dira-t-elle plus tard. Ce soir-là, sa mère de 80 ans vote également. Au total, 33 femmes sur les 106 de la commune participent au scrutin, sous les huées. Les insultes, proférées par des hommes et par des femmes, fusent encore pendant des jours. La votation d’Unterbäch fait sensation : des journalistes viennent d’Asie et des États-Unis pour couvrir l’événement. Même le New York Times est là.

Comment se fait-il que les femmes de cette petite commune haut-valaisanne se soient retrouvées à l’avant-garde de la lutte pour les droits politiques féminins ? Cela s’explique certainement en partie par la situation économique locale. Dans cette région de montagne, les emplois sont rares et beaucoup d’hommes quittent leur village pour travailler comme saisonniers dans les vignobles et les vergers ou comme ouvriers sur les chantiers des tunnels et des barrages. Ils restaient parfois plusieurs mois loin du village. Pendant ce temps, les femmes s’occupaient de tout : le ménage, les travaux des champs, les enfants et les commerces locaux. Elles ont ainsi acquis une grande autonomie de décision. Une deuxième raison réside dans la collaboration politique avec Iris et Peter von Roten, qui habitent près d’Unterbäch, à Rarogne, et interviennent régulièrement en public en faveur de l’égalité des droits des femmes.

De fait, Peter von Roten et Paul Zenhäusern, collègues au Grand Conseil, discutent de la votation à venir. Ils ont précédemment déposé au parlement cantonal deux motions en faveur du droit de vote et d’éligibilité des femmes, en vain. Ils veulent maintenant faire participer les femmes d’Unterbäch au scrutin fédéral. Ils demandent conseil au juge fédéral Werner Stocker, qui estime que cela est compatible avec l’article constitutionnel sur les droits politiques, à la seule condition que les femmes soient inscrites dans le registre électoral. Le conseil municipal d’Unterbäch décide alors, le 6 février 1957, d’inscrire les femmes dans le registre électoral du village et de mettre en place une deuxième urne pour recueillir leurs votes. Le procès-verbal de la séance précise : particulièrement en cette occasion, « la bienséance et le bon ton exigent que nous, hommes, ne nous comportions pas comme des tuteurs tout-puissants », mais mettions en accord les droits et les devoirs de nos femmes. La tenue du registre électoral relevant de la compétence des communes, le conseil municipal invoque l’autonomie communale. La loi électorale valaisanne prive des droits politiques uniquement les forçats et les assistés ; elle ne mentionne pas les femmes. Le gouvernement cantonal valaisan et le Conseil fédéral n’apprécient pas : ils considèrent que cette démarche est anticonstitutionnelle. Mais Unterbäch persiste. Certaines autres communes (Sierre, Martigny-Bourg, Lugano, La Tour-de-Peilz et Niederdorf BL) autorisent leurs résidentes à participer au scrutin, mais seulement à titre consultatif. Unterbäch reste la seule commune qui annonce son intention d’accorder l’égalité de traitement aux votes des femmes et des hommes.

Même si les votes des femmes d’Unterbäch seront finalement invalidés, la fronde lancée par la commune constitue un pas en avant majeur vers l’égalité des droits politiques pour les femmes. Contre la volonté du gouvernement valaisan, ce petit village de montagne aura été la première commune suisse à inscrire les femmes dans un registre électoral communal. Il faudra attendre encore treize ans pour que les Valaisannes obtiennent le droit de vote au niveau cantonal. Jusqu’à son décès en 2014, Katharina Zenhäusern ne manquera pas un seul scrutin.

Devenu un symbole de la participation politique des femmes, le village de montagne haut-valaisan se veut le « Grütli des femmes suisses ». Lorsqu’en 1984 Elisabeth Kopp est la première femme élue au Conseil fédéral, Unterbäch la nomme bourgeoise d’honneur. Contrainte de se retirer en 1988, elle est invitée à Unterbäch en février 1989. À cette occasion, Elisabeth Kopp, Iris von Roten et Katharina Zenhäusern font connaissance. Trois pionnières de la lutte pour le suffrage féminin (Source: EKF).

« Il fallait bien que quelqu’un commence. » Katharina Zenhäusern, 2007

 

 

 

 

Iris von Roten (1917-1990)

Juriste et écrivaine, Iris von Roten publie en 1958 son livre Frauen im Laufgitter (Femmes dans un parc pour enfants), dans lequel elle dresse une analyse saisissante de la condition des femmes en Suisse. Sans concession, elle expose les rapports de pouvoir dans la société patriarcale de l’époque et décrit l’oppression des femmes. Sa liberté de parole lui vaudra des critiques virulentes de son vivant. Aujourd’hui, son livre est considéré comme un pilier de la littérature féministe.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Iris Meyer grandit dans une famille aisée. En 1932, elle fréquente l’école supérieure pour jeunes filles de Zurich. Maturité en poche, elle fait des études de droit à Berne, Genève et Zurich et obtient un doctorat en 1941. Elle travaille d’abord comme journaliste et rédactrice, rejoignant en 1944 la revue Schweizer Frauenblatt de l’Alliance de sociétés féminines suisses (ASF).

C’est à l’Université de Berne qu’Iris Meyer fait la connaissance de son condisciple Peter von Roten, un aristocrate qui allait devenir député au Grand Conseil valaisan. Les jeunes gens tombent amoureux et échangent une correspondance nourrie sur des questions de société et des sujets personnels : ils s’écriront plus de 1300 lettres de 1943 à 1950. Malgré l’opposition d’une famille catholique conservatrice, Peter von Roten épouse Iris en 1946. La même année, celle-ci obtient le brevet d’avocat. Le couple ouvre une étude d’avocat et de notaire en Valais, mais l’avocate se voit proposer très peu de mandats. Iris von Roten étouffe dans ces vallées conservatrices : elle ne peut pas se réaliser dans ce « trou à rat exclusivement masculin du Valais » (Amours ennemies, p. 363).

Elle part donc en Angleterre en été 1947 pour un séjour linguistique de plusieurs mois, lors duquel elle s’immerge dans la littérature féministe. Au cours de l’été 1948, elle s’installe aux États-Unis, où elle étudie la sociologie et écrit un livre sur la confiscation des droits de la femme. Iris et Peter von Roten poursuivent leurs échanges épistolaires. Ils discutent en particulier des rapports entre les sexes et de la liberté sexuelle. C’est à la même période que Peter von Roten, conseiller national et député valaisan des Conservateurs catholiques, dépose plusieurs interventions en faveur de l’égalité politique des femmes, au grand dam de son parti.

Lorsqu’Iris von Roten rentre en Suisse, le couple s’installe à Bâle. Leur fille Hortensia voit le jour en 1952. Les deux parents voulant concilier métier et famille, ils explorent différents modèles, de l’aide ménagère à l’étudiant·e au pair en passant par des familles d’accueil. En 1958, après des années de travail, Iris von Roten publie Frauen im Laufgitter. Offene Worte zur Stellung der Frau (Femmes dans un parc pour enfant. Paroles libres sur la condition de la femme). Elle y dresse un tableau sociologique de la situation des femmes en cinq chapitres, noircissant près de 600 pages. Son analyse aussi détaillée que critique met en lumière les racines et les mécanismes de l’oppression des femmes. Elle étudie l’activité professionnelle des femmes dans un monde d’hommes, met en évidence la dépendance des femmes dans la relation amoureuse et la sexualité, qualifie les travaux domestiques de corvée, déplore que la maternité soit « une charge sans les honneurs ». Dans le chapitre « Un peuple de frères sans soeurs » (« Ein Volk von Brüdern ohne Schwestern »), elle dénonce l’absence de droits politiques des femmes. Elle revendique l’égalité inconditionnelle des droits entre les sexes dans les domaines économique, juridique, politique et social ainsi que le droit pour les femmes de choisir leur sexualité. Souvent incisive, sa parole suscite de nombreuses et virulentes réactions de rejet. Son discours sur la maternité, le travail domestique et la sexualité, en particulier, soulèvent l’indignation. Frauen im Laufgitter se retrouve catalogué comme livre à scandale et Iris von Roten est clouée au pilori, tournée en ridicule sur la place publique et attaquée personnellement. En décembre 1958, l’influente ASF se distance de l’ouvrage, beaucoup de suffragistes traditionnelles craignant que son caractère polémique ait un effet désastreux sur la première votation fédérale pour le suffrage féminin, qui allait bientôt avoir lieu. Après le résultat négatif du scrutin de février 1959, Iris von Roten publie un bréviaire du suffrage féminin, un texte court dans lequel elle décrit le droit de vote comme une base indispensable à une égalité complète entre les sexes.

Après ces deux publications, Iris von Roten ne s’exprimera que rarement sur des sujets féministes. En 1960, elle parcourt la Turquie en voiture durant six mois et publie le récit de son voyage en 1965 sous le titre Vom Bosporus zum Euphrat. Türken und Türkei (Du Bosphore à l’Euphrate. Les Turcs et la Turquie). Elle voyage aussi dans de nombreux autres pays et se consacre de plus en plus à la peinture. Souffrant de graves problèmes de santé suite à un accident et ne pouvant plus peindre à cause de sa mauvaise vue, Iris von Roten met fin à sa vie en 1990. Un an après sa mort, efef-Verlag réédite Frauen im Laufgitter, qui devient un bestseller (Source: EKF).

« (…) dans les Etats qui connaissent l’égalité des droits politiques, il est en principe impossible d’écarter ou d’ignorer les femmes dans quelque domaine que ce soit. Les femmes comptent! A leurs propres yeux et aux yeux des autres. Pas autant qu’elles le devraient, mais bien plus que là où on les muselle sur le plan politique. » Iris von Roten, Frauen im Laufgitter (1958), p. 579

 

 

 

 

 

Antoinette Quinche (1896-1979)

Antoinette Quinche est la première femme docteure en droit et avocate du canton de Vaud. Personnalité marquante des associations cantonales et nationales en faveur du suffrage féminin, elle monte en 1957 jusqu’au Tribunal fédéral pour demander le droit de vote et d’éligibilité des femmes. Les recours qu’elle défend sont rejetés, mais son travail inlassable porte ses fruits dans son canton d’adoption: en 1959, Vaud est le premier canton à accorder le droit de vote aux femmes en matière cantonale.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Après seulement une année à l’école supérieures pour jeunes filles de Lausanne, Antoinette Quinche rentre au gymnase cantonal grâce à son père. Elle y est la seule fille car l’établissement est en principe réservé aux garçons. Or, c’est le parcours obligé pour accéder à des études universitaires. Après avoir obtenu la maturité, Antoinette Quinche rentre à la Faculté de droit de l’Université de Lausanne. En 1923, elle et Linette Combe sont les deux premières femmes du canton de Vaud à obtenir un doctorat en droit. Antoinette Quinche fait un stage de trois ans dans une étude d’avocat, obtient le brevet et ouvre sa propre étude. Elle représente essentiellement des femmes dans des dossiers de divorce, de preuve de paternité et d’accident du travail. En 1953, elle est l’une des principales artisanes de la réforme qui permet aux femmes de conserver la nationalité suisse après avoir épousé un étranger. Elle obtient également une amélioration des conditions de détention des femmes. À côté de son activité professionnelle, elle propose avec Linette Combe une assistance juridique gratuite organisée par l’Union des femmes.

Antoinette Quinche vit avec sa soeur dans la maison familiale jusqu’au décès de ses parents. Elle y accueille en 1936, la féministe espagnole Clara Campoamor, en exil depuis la guerre civile. En 1962, les soeurs prennent en charge une orpheline de deux ans, dont la mère décédée était une amie.

Antoinette Quinche occupe des fonctions et des charges publiques durant de nombreuses années. Elle adhère au Parti radical-démocratique suisse (aujourd’hui PLR), rentre à la direction du parti cantonal et fonde le groupement féminin du Parti radical lausannois. De 1932 à 1935, elle préside l’Association suisse des femmes universitaires.

Son engagement pour l’égalité des droits politiques des femmes prend une place particulière dans son parcours. Jeune fille, elle assiste à une action de protestation des suffragettes à Londres, où elle voyage en compagnie de sa mère, originaire de Grande-Bretagne. Des années plus tard, elle est à l’avant-garde du combat pour les droits politiques des femmes. En 1927, elle adhère à l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF), dont elle devient membre du comité directeur en 1928 puis vice-présidente de 1945 à 1951. À la tête du groupe de Lausanne de l’ASSF dès 1930, elle prend en outre les rênes de l’Association vaudoise pour le suffrage féminin en 1932. Elle représente l’ASSF au sein de l’Alliance internationale des femmes jusqu’en 1961.

En 1929, Antoinette Quinche s’engage en faveur de la pétition pour le suffrage féminin. Elle est présidente du comité d’action vaudois et membre du comité d’action suisse. Les femmes distribuent des tracts, organisent des conférences publiques, font signer la pétition. La mobilisation des Vaudoises porte ses fruits : un septième des signatures recueillies proviennent du canton de Vaud. Bien qu’elle ait récolté le nombre impressionnant de 249 237 signatures, la pétition reste sans suite.

Après la Seconde guerre mondiale, l’ASSF fonde le Comité suisse d’action pour le suffrage féminin. Antoinette Quinche en prend la présidence et organise de multiples actions. Lors des célébrations du centenaire de l’État fédéral en 1948, qui ont pour thème « La Suisse, un peuple de frères », le comité suisse d’action organise une manifestation consacrée à la discrimination des femmes.

En 1956, Antoinette Quinche et 1413 femmes des cantons de Vaud, Genève et Neuchâtel demandent à être inscrites sur le registre électoral de leur commune (voir aussi les transparents et les scripts sur Elsa Franconi-Poretti et Katharina Zenhäusern). Elles invoquent une interprétation plus large de l’égalité des droits inscrite dans la Constitution fédérale afin que le suffrage féminin puisse être instauré sans modifier la Constitution. Suite au refus des communes, Antoinette Quinche engage une action qui la mène, en 1957, jusque devant le Tribunal fédéral. Mais celui-ci rejette son recours, alléguant que le droit coutumier l’emporte sur l’égalité des droits ancrée dans la Constitution.

En prélude à la première votation fédérale sur le suffrage féminin, Antoinette Quinche expose assidument la cause des femmes auprès des hommes politiques vaudois. Grâce à son engagement, les hommes du canton de Vaud, le 1er février 1959, disent oui au suffrage féminin, à la fois au niveau fédéral et au niveau cantonal. Alors que l’issue du scrutin est négative au niveau fédéral, le canton de Vaud approuve l’égalité des droits politiques pour les femmes. C’est ainsi le premier canton à instaurer le droit de vote et d’éligibilité des femmes.

Après ce succès, Antoinette Quinche se retire de la vie publique. Elle continuera d’exercer son métier d’avocate jusqu’à un âge avancé. Elle s’éteint en 1979 à l’âge de 83 ans  (Source: EKF).

« Chez nous, la démocratie est très ancienne et essentiellement masculine. Pour la transformer, il fallait beaucoup de tact, trouver des arguments valables aux yeux des démocrates. Nous avons donc toujours mis l’accent sur l’injustice faite aux femmes. » Antoinette Quinche, 1971

 

 

 

 

 

Elsa Franconi-Poretti (1895-1995)

Journaliste, auteure et comédienne, Elsa Franconi-Poretti a vécu longtemps à Paris. En 1955, elle rentre en Suisse, où elle milite en particulier pour les droits politiques des femmes. En 1971, à l’âge de 75 ans, elle est l’un des premières femmes élues au Grand Conseil tessinois. Elle sera la première citoyenne à prononcer un discours dans cette enceinte.

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Elsa Poretti fait sa scolarité à Lugano puis elle étudie à l’Istituto Santa Maria à Bellinzone, où elle obtient le diplôme d’enseignante en 1914. Elle enseigne brièvement à l’école primaire de Bré (Lugano). En 1924, elle épouse l’architecte et artiste Giuseppe Franconi. Le couple part dans le nord de la France puis s’installe à Paris, où son mari participe à la reconstruction après la Première guerre mondiale. Elle travaille comme correspondante pour le Corriere del Ticino et Radio Monteceneri. La famille reste trente ans à Paris, hormis pendant la Seconde guerre mondiale, quand Elsa Franconi-Poretti rentre à Lugano avec sa fille. Elle s’engage alors bénévolement auprès de la Croix-Rouge et commence à travailler au théâtre comme comédienne et auteure. Après la guerre, elle retourne à Paris et reprend ses activités journalistiques.

La famille s’établit à Lugano en 1955. Elsa Franconi-Poretti poursuit son activité pour le Corriere del Ticino: elle écrit des articles et dirige les rubriques féminines La pagina della donna, Corriere Donna et Donna. En compagnie de trois autres femmes, elle conçoit pour Radio Monteceneri l’émission hebdomadaire L’Ora della donna, qui diffuse des informations sur la condition sociale et politique de la femme. On y parle de vallées reculées du Tessin, mais aussi de pays comme la Russie, Israël, etc. Les sujets et les discussions proposés portent la question du suffrage féminin sur la place publique. L’émission est arrêtée en 1973, après que les femmes ont obtenu le droit de vote et d’éligibilité au niveau national en 1971.

Elsa Franconi-Poretti allie ses activités professionnelles avec un engagement dans diverses associations pour le suffrage féminin. Elle adhère au Movimento sociale femminile (Mouvement social féminin), association fondée à Lugano en 1933 dans le but d’obtenir le droit de vote et d’éligibilité pour les femmes. Dans les années 50, le mouvement compte déjà six groupes régionaux, qui animent le débat jusque dans les plus petits villages du canton. Il s’agit de sensibiliser non seulement les hommes suisses (c.-à-d. les personnes ayant le droit de vote), mais aussi et surtout les femmes et les jeunes. Le mouvement resserre alors ses liens avec l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) et se rebaptise en 1954 Associazione Ticinese per il voto alla donna. Elsa Franconi-Poretti devient rédactrice de la publication de l’association La Nostra Voce (Notre voix), dont le premier numéro paraît en juin 1956.

En 1957, elle organise avec d’autres femmes un scrutin pour protester contre la votation fédérale du 3 mars sur l’instauration d’un service civil obligatoire pour les femmes : les hommes (ayant le droit de vote) sont seuls appelés à se prononcer sur une question qui concerne uniquement les femmes et sur laquelle elles ne peuvent pas s’exprimer. (Des femmes de la commune valaisanne d’Unterbäch font de même ; lire le transparent et le script sur Katharina Zenhäusern.)

Elsa Franconi-Poretti s’investit également au niveau des partis. Elle est membre du Partito Radicale Democratico (PRD) et fonde en 1957 le Gruppo donne liberali di Lugano (Femmes libérales Lugano), qu’elle présidera jusqu’en 1978. Lorsqu’en 1958 les associations féminines tessinoises se regroupent sous la bannière de la Federazione Ticinese Società Femminili (FTSF; aujourd’hui Federazione Associazioni Femminili Ticino Plus), la présidente des femmes libérales est de la partie. La FTSF veut unir les associations féminines locales et régionales, étudier la situation des femmes dans la vie publique et la vie privée, et défendre les intérêts des femmes face aux autorités.

En 1969, le Tessin vote pour la troisième fois sur le droit de vote et d’éligibilité des femmes au niveau cantonal. Alors que les hommes tessinois avaient refusé d’accorder l’égalité politique aux femmes à une très large majorité (77 %) lors de la première votation en 1946, le camp du non avait fondu à 59% lors de la deuxième votation en 1966. La troisième sera la bonne : 63 % des hommes disent oui. Le travail de longue haleine mené pour coaliser les forces en faveur du suffrage féminin porte enfin ses fruits. Et Elsa Franconi-Poretti, qui a mené la campagne de votation pour les Femmes libérales, est l’une des onze premières femmes élues au Grand Conseil tessinois en 1971. À 75 ans, elle est la doyenne du Grand Conseil et c’est donc à elle que revient la présidence. Le 3 mai 1971, elle est la première femme à prononcer une allocution devant le Parlement.

Pendant les années qui suivent, elle s’investit notamment dans la préparation de l’Année internationale de la femme proclamée par les Nations Unies en 1975. Elle cesse ses activités professionnelles en 1980 et s’éteint à Lugano en 1995, à l’âge de 99 ans (Source: EKF).

« Pour la première fois, c’est la voix d’une femme qui s’élève de ce siège (…). Nous allons examiner, adopter et promulguer des lois qui garantiront l’égalité professionelle, des salaires égaux pour un travail égal (…), l’accès aux études pour tous, à tous le niveaux et dans tous les domaines. » Elsa Franconi-Poretti

 

 

 

 

 

Emilie Gourd (1879-1946)

«L’Idée marche!» Ce slogan d’Émilie Gourd illustre la force de conviction avec laquelle la Genevoise s’engage dans la lutte pour les droits des femmes. Passionnée, elle fait avancer cette «Idée» grâce à ses talents de journaliste et d’oratrice, qu’elle déploie en Suisse et lors de multiples voyages à l’étranger. Elle milite au sein d’associations suffragistes cantonales, nationales et internationales, fonde une revue féministe, exige de meilleures conditions de travail et un salaire égal pour un travail égal. 

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

La famille Gourd évolue dans le milieu intellectuel de la bourgeoisie protestante. Avec sa mère, Émilie fréquente des organisations féminines bourgeoises de bienfaisance. Les deux femmes participent aux activités de l’association Goutte de lait, qui s’allie à des ouvrières pour lutter contre la forte mortalité infantile. Pasteur et professeur de philosophie à l’Université de Genève, le père d’Émilie Gourd veut une bonne éducation pour ses deux filles: à l’âge de trois ans, Émilie connaît l’alphabet, elle sait lire à cinq ans et elle commence à apprendre l’allemand à sept ans. Elle obtient le certificat de capacité de l’École secondaire et supérieure de jeunes filles de Genève, mais il ne lui donne pas accès à des études universitaires. Elle doit donc se contenter de suivre les cours de philosophie et d’histoire en auditeur libre. Passionnée par la lecture et l’écriture, elle exerce brièvement le métier d’enseignante. Elle est abonnée à plusieurs revues, comme la publication féministe parisienne La fronde, qui est écrite, dirigée et imprimée par des femmes exclusivement, s’informant ainsi sur les luttes pour les droits des femmes dans le monde entier. 

Dès cette époque, Émilie Gourd multiplie ses activités associatives et donne d’innombrables conférences en Suisse et à l’étranger. Elle fait la connaissance de personnalités du mouvement féministe et suffragiste genevois. Elle adhère à l’Union des femmes de Genève en 1904, prend la présidence de l’Association genevoise pour le suffrage féminin en 1911. En 1914, elle devient présidente de l’Association suisse pour le suffrage féminin (ASSF) et dirige l’ouvroir de l’Union des femmes de Genève, qui permet aux femmes pauvres et aux chômeuses d’avoir un revenu. En 1923, elle devient secrétaire de l’Alliance internationale des femmes. Voyant la montée des idées fascistes dans les années 30, elle fonde la section genevoise de la communauté de travail La Femme et la Démocratie. 

En 1912, Émilie Gourd crée la revue Mouvement féministe, dont elle sera la rédactrice en chef. Ce mensuel allie information, éducation et propagande en faveur du suffrage féminin. La journaliste y parle en outre régulièrement des mouvements de femmes à l’étranger. Le titre paraîtra sur papier sans discontinuer jusqu’en 2009, quoique sous divers noms ; désormais appelé L’Émilie, il est toujours publié, mais sur Internet. 

Dans son rôle de présidente de l’ASSF, Émilie Gourd déploie une force de conviction peu commune : pendant son mandat, l’association, qui a été constituée en 1909 en fédérant les associations suffragistes locales, voit son nombre d’adhérents augmenter en flèche. Contrairement à beaucoup d’autres femmes bourgeoises (comme p. ex. Emma Graf, à l’origine en 1914 du slogan « Accomplir des devoirs, c’est fonder des droits »), elle défend l’idée qu’en démocratie les droits politiques sont dus inconditionnellement aux femmes et qu’elles n’ont donc pas besoin de les « gagner » : « Pas de nouveaux devoirs sans l’égalité des droits ». Cette attitude lui permet de faire oeuvre de médiation entre l’aile bourgeoise et l’aile socialiste du mouvement des femmes. Lorsque les travailleuses réclament le suffrage féminin durant la grève générale de 1918, elle écrit au Conseil fédéral en sa qualité de présidente de l’ASSF pour l’inviter instamment à donner suite à cette revendication. Mais en même temps, elle se distancie des actions militantes car, bien que sensible aux idéaux égalitaires de la Révolution française, la Genevoise considère que le combat féministe doit être conduit dans le respect de la légalité. En 1929, un an après la fin de son mandat à la présidence de l’ASSF, l’association lance une pétition pour le droit de vote et d’éligibilité des femmes qui recueille un nombre record de signatures et Émilie Gourd s’investit dans le comité d’action au niveau suisse. 

Outre son engagement en faveur des droits politiques des Suissesses, Émilie Gourd milite pour l’amélioration des conditions de travail et pour la reconnaissance du travail des femmes. Elle organise à cet effet à Genève en 1925 la première exposition cantonale sur le travail féminin, qui servira de modèle à son pendant national en 1928. Elle coordonne d’ailleurs la contribution genevoise à cette première Exposition suisse du travail féminin (Schweizerische Ausstellung für Frauenarbeit, SAFFA) et c’est probablement à elle que l’on doit l’idée de représenter la trop lente avancée du suffrage féminin par un escargot géant, qui fait sensation. 

Émilie Gourd reste rédactrice en chef du Mouvement féministe et préside plusieurs associations jusqu’à la fin de sa vie. Mais une maladie cardiaque l’oblige à ralentir ses activités. Elle disparaît en 1946, à l’âge de 66 ans. Trois mois auparavant, les électeurs genevois avaient refusé pour la troisième fois d’accorder le droit de vote et d’éligibilité aux femmes (Source: EKF).

Schweiz. Sozialarchiv F Fb-0009-28

« Sans l’émancipation de la femme, le terme de démocratie n’est qu’hypocrisie et mensonge. » Emilie Gourd

 

 

 

 

 

Rosa Bloch-Bollag (1880 – 1922)

«Rosa la rouge» est aussi détestée que respectée. Son talent pour la rhétorique et l’agitation en font l’une des figures de proue du mouvement des ouvrières suisses au début du XXe siècle. C’est vraisemblablement grâce à elle que le mouvement ouvrier revendique le suffrage féminin lors de la grève générale de 1918. 

Source: la Commission fédérale pour les questions féminines CFQF

Rosa Bollag grandit dans une famille juive de négociants en gros appauvris. Elle interrompt des études de droit faute de moyens financiers. Elle devient alors représentante d’un commerce de bijoux zurichois avant de se mettre à son compte. Elle épouse Sigfried Bloch, qui prend la direction de la Zentralstelle für soziale Literatur (Centrale pour la littérature sociale ; aujourd’hui Archives sociales suisses) en 1909. Le couple entretient des contacts avec le mouvement ouvrier et syndical. 

Lorsque la Première guerre mondiale éclate, la misère des familles ouvrières grandit en raison de la pénurie de denrées alimentaires et du renchérissement. En tant que présidente de l’association des ouvrières zurichoises (Zürcher Arbeiterinnenverein), Rosa Bloch-Bollag organise des manifestations contre la faim sur les marchés hebdomadaires tout au long de l’été 1916. Ces actions font tâche d’huile dans plusieurs villes suisses. Les ouvrières protestent contre la cherté des denrées alimentaires en payant les prix de leur choix ou en vendant elles-mêmes des pommes de terre. Elles agissent généralement sous l’égide de leurs associations régionales : fondées à la fin du XIXe siècle, celles-ci s’étaient regroupées en 1890 pour former l’Union suisse des ouvrières, qui milite pour une amélioration des conditions de travail et de la sécurité sociale. Elle demande par exemple un salaire égal aux hommes pour un même travail et une même productivité, la journée de 9 heures, une protection de la maternité de huit semaines et une meilleure éducation pour les filles. 

En 1893, l’Union suisse des ouvrières est la première organisation à revendiquer le suffrage féminin. Lorsque l’association adhère au Parti socialiste (PS) en 1912, Rosa Bloch-Bollag fait de même. Les ouvrières font ensuite pression pour que le PS milite officiellement en faveur du droit de vote et d’éligibilité des femmes. Elles obtiennent satisfaction la même année, et le PS devient ainsi le premier parti à réclamer les droits politiques pour les femmes. 

En 1917, l’Union suisse des ouvrières se dissout et ses membres forment des groupes de femmes socialistes. Ils sont coordonnés, à partir de 1918, par la nouvelle Commission centrale féminine d’agitation politique, dont Rosa Boch-Bollag est la première présidente. Rédactrice du principal journal des ouvrières, Die Vorkämpferin, elle fait forte impression par la puissance éditoriale et la qualité stylistique de ses articles. 

Le talent d’agitatrice de Rosa Bloch-Bollag s’épanouit particulièrement à cette époque. En 1918, elle est la seule femme membre du Comité d’Olten, la direction nationale de la grève générale de novembre 1918. Il est à peu près certain qu’elle est à l’origine de l’inscription du « droit électoral actif et passif pour les femmes » en deuxième place sur la liste des revendications. 

Le 10 juin 1918 à Zurich, elle est en tête d’un cortège de protestation contre la faim qui fait grand bruit. Les ouvrières sont rejointes par des femmes bourgeoises. Après son discours, « Rosa la rouge » remet au Conseil d’État la déclaration des ouvrières, qui demande notamment que les denrées alimentaires soient réquisitionnées et distribuées aux familles nécessiteuses. Rosa Bloch-Bollag et une délégation de femmes demandent à être entendues par le Grand Conseil puisque la Constitution zurichoise garantit à tous les citoyens le droit de lui exposer directement leurs doléances. Dans un premier temps, le gouvernement zurichois refuse, aucune femme ne s’étant jamais exprimée devant le parlement. Mais une semaine plus tard, Rosa Bloch-Bollag, l’enseignante Agnes Robmann et l’ouvrière Marie Härri sont autorisées à présenter personnellement leurs revendications aux députés. Il faudra attendre 1970 et l’instauration du suffrage féminin au niveau cantonal pour entendre à nouveau des voix féminines dans l’enceinte du parlement zurichois. 

Lorsque le Comité d’Olten proclame la grève générale à l’automne 1918, Rosa Bloch-Bollag, en sa qualité de présidente de la Commission centrale féminine d’agitation politique, appelle les ouvrières et les femmes d’ouvriers à participer activement. Les femmes organisent le ravitaillement des grévistes et la garde des enfants, participent aux assemblées, manifestent et aident à bloquer les voies de chemin de fer. Mais alors que la plupart des revendications de la grève générale seront suivies de mesures, les femmes devront attendre encore plusieurs décennies avant d’obtenir le droit de vote et d’éligibilité. 

Après la Première guerre mondiale, Rosa Bloch-Bollag adhère au Parti communiste dès sa fondation en 1921, mais elle décède en 1922, à seulement 42 ans, des suites de l’opération d’un goitre. (Source: EKF)

Schweiz. Sozialarchiv F 5008-Fb-001

« (Les travailleuses) déclarent qu’elles n’accepteront pas qu’on les abreuve avec des articles de loi ou qu’on les renvoie à des règlements. Elles réclament que vous leur donniez aujourd’hui la possibilité de s’exprimer comme elles le souhaitent. »

Déclaration des travailleuses à l’occasion de la manifestation contre la faim, Zurich, 10.6.1918